Le Journal officiel du 14 mai a publié quatre nouvelles ordonnances, ce qui porte à pas moins de 54 le nombre des ordonnances adoptées par l’exécutif sur le fondement de l’article 11 de la loi d’urgence du 23 mars 2020 (voir notre veille du 14 mai).

Plusieurs dispositions de ces ordonnances interpellent :

La « nouvelle collégialité » ou « collégialité connectée »

L’article 1er de l’ordonnance n° 2020-558 qui modifie pour la troisième fois l’ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 relative aux procédures devant les juridictions administratives prévoit notamment que le président de la formation de jugement peut permettre à ses assesseurs, comme au rapporteur public, d’assister à l’audience « depuis un lieu distinct de la salle d’audience ». A l’exception du président, chacun va ainsi pouvoir prétendre assister à l’audience depuis son salon, son jardin, la plage ou un hôtel de Djerba. Gageons que cette « collégialité connectée » sera le gage d’une justice de qualité grâce à des échanges plus approfondis, notamment lors du délibéré, dont le secret est certainement ainsi mieux gardé !

La « nouvelle hiérarchie des normes » ou la « hiérarchie des normes connectées »

L’article 12 de l’ordonnance n° 2020-560 contient une disposition « balai » susceptible de s’appliquer à toutes les ordonnances intervenues jusqu’à ce jour ou à intervenir et selon laquelle « lorsque le terme de la période d’application des ordonnances (…) est défini par référence à la cessation de l’état d’urgence sanitaire (…), ce terme peut (…) être avancé par décret en Conseil d’Etat ». Après la « nouvelle collégialité », les ordonnances du 13 mai 2020 introduisent donc une « nouvelle hiérarchie des normes ». Selon en effet cette nouvelle hiérarchie, un décret en Conseil d’Etat suffit à modifier une ordonnance. Quant à la sécurité juridique, le plus sage est certainement de considérer qu’elle est mise entre parenthèses.

Le mode d’emploi d’une « ordonnance connectée » : l’exemple de l’ordonnance n° 2020-306 sur la suspension et la prolongation des délais

L’ordonnance n° 2020-560 modifie en réalité pour la quatrième fois l’ordonnance n° 2020-306 sur la prolongation des délais. Une brève présentation du mode d’emploi de cette ordonnance permettra de donner un aperçu de l’état de lisibilité et d’accessibilité de notre droit, tous standards requis par les jurisprudences constitutionnelle et européenne.

D’abord, établir, en tenant compte des quatre ordonnances modificatives 2020-347, 2020-427, 2020-428 et 2020-560 une version dite consolidée du texte, c’est-à-dire une version de l’ordonnance dans sa rédaction en vigueur à la date d’aujourd’hui.

Ce premier travail effectué[1], il convient de vous assurer que la matière qui fait l’objet de votre recherche n’est pas exclue du champ d’application de cette ordonnance par son article 1er. Vous ne manquerez pas de relever que le champ des exclusions s’est élargi au fil des modifications successives. D’où une question qui n’est pas claire. A quelle date s’apprécie cette exclusion ? Si vous franchissez avec succès cet obstacle de l’article 1er, vous devriez alors logiquement être bénéficiaire du dispositif de prorogation des délais prévu à l’article 7 de l’ordonnance. S’il s’agit d’un délai pour agir, vous aurez la tentation d’en déduire que votre délai pour agir se termine au plus tard au 10 septembre.

Ne concluez pas trop rapidement néanmoins. Pas moins de trois obstacles se dressent encore sur votre route :

  • D’abord vérifier que l’administration n’a pas fixé un délai plus court, comme l’ordonnance lui en offre la possibilité à certaines conditions sans que rien ne soit prévu si ces conditions ne sont pas respectées ;
  • Ensuite, vérifier que la matière qui fait l’objet de votre recherche ne relève pas de l’un des décrets adoptés en application de l’article 9 de l’ordonnance. Aux termes de ce dispositif particulièrement complexe, les délais, suspendus dans un premier temps par l’ordonnance du 25 mars, ont recommencé à courir à une date fixée par le décret en question. Il va sans dire que ces décrets, au nombre de cinq actuellement, et qui concernent notamment le droit de l’environnement et le droit du travail, ne sont pas répertoriés par Légifrance sous l’article 9 de l’ordonnance et vous devrez par vous-même partir à leur recherche, selon la méthode la plus empirique qui soit ;
  • Enfin, vous devrez encore vous assurer que la date du 10 septembre n’a pas été abrégée par un décret en Conseil d’Etat tel que prévu à l’article 12 de l’ordonnance n° 2020-560 analysé ci-dessus.

Si vous franchissez avec succès ces trois dernières étapes, vous pourrez alors considérer que votre délai pour agir expire, au plus tard, au 10 septembre.

Simplissime, non ?


[1] Précisons qu’une version consolidée de l’ordonnance est disponible en ligne sur le site Legifrance.

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