La loi n° 2020-1576 du 14 décembre 2020 de financement de la sécurité sociale pour 2021 (« LFSS pour 2021 ») a été publiée au journal officiel hier.
Chose inédite : aucune de ses dispositions n’a été examinée par le Conseil constitutionnel, faute d’une saisine par les parlementaires. Le Conseil constitutionnel pourrait toutefois être amené à examiner la conformité à la Constitution de certaines des dispositions de la LFSS pour 2021 dans le cadre d’une question prioritaire de constitutionnalité (« QPC »)[1].
L’un des principaux apports de cette loi est la refonte totale de deux régimes de prise en charge dérogatoire des médicaments : les autorisations temporaires d’utilisation (« ATU ») et des recommandations temporaires d’utilisation (« RTU »).
Pour mémoire :
- les ATU permettent de bénéficier d’un accès précoce au marché (avant l’octroi de l’AMM) ou d’un accès précoce à la prise en charge. Il existe aujourd’hui 5 types d’ATU : l’ATU nominative, l’ATU de cohorte « historique », le post-ATU, l’ATU en extension d’indication et l’accès direct post-AMM ;
- les RTU permettent à l’ANSM d’encadrer des prescriptions non conformes à une AMM pour sécuriser l’utilisation de ces médicaments dans le cadre d’un protocole dédié.
L’article 78 de la LFSS pour 2021 supprime les différentes ATU et la RTU pour les remplacer par les dispositifs d’accès précoce et d’accès compassionnel. Il ne s’agit pas d’un simple « regroupement » des différentes ATU sous l’appellation d’accès précoce : les ATU actuelles se retrouvent « splittées » entre l’accès précoce, l’accès compassionnel et…plus rien ! En effet, certaines indications, qui peuvent à ce jour bénéficier d’une ATU, ne pourront pas bénéficier des nouveaux modes de prise en charge dérogatoire issus de la LFSS pour 2021.
La réforme est extrêmement complexe et dense. Nous n’avons donc ici pas pour objectif d’en dresser un tableau exhaustif mais seulement d’attirer votre attention sur les principales modifications.
1. Le dispositif d’accès précoce : quelles nouveautés par rapport à l’ATU ?
Le dispositif d’accès précoce est réservé aux médicaments pour lesquels l’industriel a déposé ou s’engage à déposer une demande d’AMM ou de prise en charge.
Un dispositif réservé aux médicaments « présumés innovants »
L’accès précoce est réservé aux médicaments qui satisfont cinq critères. Quatre d’entre eux correspondent aux critères déjà prévus pour les ATU. Le cinquième est en revanche une nouveauté : seuls les médicaments « présumés innovants » seront éligibles à l’accès précoce.
En l’absence de précisions dans la LFSS pour 2021, il est difficile de savoir comment cette condition de présomption d’innovation va être appréciée.
Toutefois, il est certain que des médicaments qui pouvaient, jusqu’ici, bénéficier d’une ATU ne pourront plus, demain, bénéficier d’un accès précoce.
Limitation de la durée d’accès précoce
La durée des ATU n’est aujourd’hui limitée par aucun texte.
Les autorisations d’accès précoce seront en revanche octroyées pour une durée qui ne pourra excéder une limite fixée par décret, et éventuellement renouvelable.
Une procédure d’examen des dossiers qui se veut simplifiée et plus rapide
Les autorisations d’accès précoce seront délivrées par la HAS (et non pas par l’ANSM, comme c’est le bas des ATU). La décision de la HAS vaudra à la fois octroi de l’accès précoce et de la prise en charge dérogatoire par l’assurance maladie.
L’idée est celle d’un « guichet unique », permettant une procédure plus simple et plus rapide. Le gouvernement a ainsi annoncé que les délais d’entrée dans le dispositif d’accès précoce devraient être inférieurs à 80 jours (alors qu’ils sont aujourd’hui en moyenne de quatre mois et demi pour les ATU).
Prise en charge : la transformation du système des remises
Le principe reste celui de la fixation d’une indemnité libre et unilatérale par l’industriel, et d’un mécanisme de remises. Toutefois, ce mécanisme de remises est transformé par la LFSS pour 2021.
La LFSS pour 2021 prévoit que des remises annuelles seront reversées au fil de l’eau. Leur montant sera calculé sur la base du chiffre d’affaires facturé aux établissements de santé au titre de l’année considérée. Ces remises annuelles agiront comme un mécanisme de provision, et devraient rendre la sortie du dispositif moins brutale pour l’industriel. En effet, le montant des remises qui seront versées a posteriori sera moins important qu’aujourd’hui.
Les taux de ces remises feront l’objet d’un barème progressif par tranche de chiffre d’affaires.
Notons que les taux de remises pourront être majorés dans certaines hypothèses. C’est notamment le cas si l’entreprise ne dépose pas de demande d’AMM ou de demande d’inscription au remboursement ou en l’absence de signature d’une convention avec le CEPS sur le prix ou le tarif du médicament dans le délai réglementaire de 180 jours. On « punit » donc l’industriel pour des retards qui sont en partie imputables à l’administration… !
2. L’utilisation à titre compassionnel : quelles nouveautés par rapport à la RTU ?
Le mécanisme d’accès compassionnel est destiné aux médicaments non nécessairement innovants, qui ne sont pas forcément destinés à obtenir une AMM dans l’indication concernée mais qui répondent de façon satisfaisante à un besoin thérapeutique.
Un mécanisme réservé aux médicaments qui ne sont pas en cours de développement en France
Seuls sont éligibles à l’accès compassionnel les médicaments qui ne font pas l’objet d’une recherche impliquant la personne humaine à des fins commerciales.
Cette condition n’existait pas pour la RTU, qui pouvait donc bénéficier à des médicaments en cours de développement en France.
Prise en charge : le prix peut, dans certains cas, être fixé unilatéralement par le laboratoire
Les médicaments bénéficiant de l’accès compassionnel sont pris en charge selon les modalités suivantes :
- si le médicament est déjà pris en charge par la sécurité sociale dans une autre indication, l’indication bénéficiant de l’accès compassionnel est prise en charge sur la base du prix et du niveau de remboursement qui a déjà été fixé ;
- si le médicament n’est pas encore pris en charge dans le droit commun (dans aucune indication), l’indication bénéficiant de l’accès compassionnel est prise en charge :
- soit sur une base forfaitaire annuelle par patient définie par arrêté des ministres (ce qui existait déjà pour les médicaments bénéficiant d’une RTU) ;
- soit, et c’est la nouveauté par rapport aux RTU, sur la base du prix facturé aux établissements de santé et donc défini unilatéralement par le laboratoire.
La création d’un mécanisme de remises
En dehors du cas où les ministres ont fixé un forfait annuel pour la prise en charge du médicament, le laboratoire reversera, comme pour les autorisations d’accès précoce, des remises annuelles. Les taux seront, ici aussi, définis selon un barème progressif par tranche de chiffre d’affaires.
Enfin, les taux de remise pourront, comme dans le cas de l’accès précoce, être majorés. Ce sera notamment le cas lorsque le laboratoire s’est engagé à déposer une demande d’accès précoce et qu’il ne respecte pas cet engagement, ou que le nombre d’autorisations d’accès compassionnel excède les seuils fixés par arrêté.
3. Comment ces nouvelles dispositions s’articulent-elles avec les ATU / RTU déjà octroyées ?
La LFSS pour 2021 prévoit que les dispositions encadrant l’accès précoce et l’accès compassionnel entrent en vigueur à une date fixée par décret, et au plus tard le 1er juillet 2021.
Qu’adviendra-t-il des ATU, des post-ATU et des RTU dont l’échéance est postérieure à cette date d’entrée en vigueur ?
- Les ATU demeureront régies, jusqu’à leur terme, par les dispositions applicables antérieurement à la LFSS pour 2021, y compris en ce qui concerne leur prise en charge. Elles ne pourront toutefois pas être renouvelées ;
- Les post-ATU seront prises en charge selon les nouvelles dispositions introduites par la LFSS pour 2021 ;
- Les RTU seront réputées bénéficier d’un cadre d’accès compassionnel pour la durée restant à courir. Toutefois, elles resteront soumises, pour cette durée, aux règles de prise en charge applicables antérieurement à la LFSS pour 2021.
[1] La question prioritaire de constitutionnalité est le droit reconnu à toute personne qui est partie à un procès ou une instance de soutenir qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit.