Dans la dernière partie de son rapport « Charges et produits 2021 », consacrée aux propositions, l’UNCAM fait le point des questions nouvelles que pose au régulateur la prise en charge de l’innovation.

L’arrivée prochaine sur le marché de thérapies géniques dans le traitement de l’hémophilie va poser des questions de financement sans précédent, cependant que la prise en charge récente du premier dispositif médical connecté (DMC) a mis en évidence la nécessité de nouveaux paradigmes qui permettent la prise en charge non plus seulement d’un dispositif mais d’une chaîne de valeur dont chaque maillon aura été valorisé. Les instruments de régulation actuels ne permettent de répondre qu’imparfaitement à ces défis nouveaux, y compris dans le cadre de l’article 51 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2018.

On trouvera ci-dessous un résumé des développements que le rapport « Charges et produits 2021 » consacre au financement de l’innovation.

L’Assurance maladie fait le constat que, au cours de ces deux dernières décennies, le modèle économique autour duquel est organisée l’industrie est passé d’une économie de stock (de brevets) à une économie de flux. Cette distinction se retrouve à travers les deux catégories d’opérateurs aujourd’hui présents sur le marché : les génériqueurs (le stock) et les innovateurs, « dont l’enjeu est l’arrivée sur le marché de la prochaine molécule et la négociation de son prix d’entrée sur le marché ».

Cette évolution a induit une évolution du cadre de la négociation de prix. Une partie de la profession est en effet passée d’une logique industrielle, dans laquelle la demande de prix est soutenue par les coûts de développement, à une logique d’investisseur, dans laquelle la demande de prix est soutenue par « la valeur créée pour l’individu ou la collectivité ». Cette logique a pour effet des demandes de prix insoutenables pour le régulateur/payeur, d’autant que les clauses de confidentialité qui accompagnent la décision de prix rendent les comparaisons difficiles et le système opaque. Du côté du patient, une offre « personnalisée » remplace le blockbuster et permet de cranter une demande de prix plus élevée, liée à la réduction de la taille de la population cible.

L’arrivée des traitements NAAD de l’hépatite C en 2014 a constitué le premier choc lié à cette rupture. Aujourd’hui, les demandes de prix liées à des thérapies innovantes montrent la nécessité pour les régulateurs de faire évoluer leurs outils de négociation.

Les thérapies géniques : comment fixer un prix acceptable pour le laboratoire et pour le payeur ?

En substituant l’objectif d’une guérison définitive à un traitement au long cours, les thérapies géniques constituent un changement de paradigme qui illustre les difficultés de réguler et de financer ce type d’innovation.

En 2018, les cellules CAR-T dans le domaine de l’oncologie ont été admises au remboursement en France (Kymriah et Yescarta des laboratoires Novartis et Gilead). La population cible pour ces deux produits est comprise entre 400 et 700 patients. Les prix faciaux sont respectivement de 297 666 euros et de 327 000 euros l’injection.

Trois thérapies géniques devraient être mises sur le marché en 2020 et 2021 : Luxturna (Novartis), Zynteglo (Bluebird Bio) et Zolgensma (Novartis). Pour les deux premières citées, les négociations avec le CEPS sont d’ores et déjà engagées.

  • Pour Luxturna, la population cible est estimée entre 34 et 171 patients ; la thérapie bénéficie depuis 2018 d’une ATU de cohorte ; l’indemnité d’ATU est de 345 000 euros par œil traité ;
  • La population cible de Zynteglo pour la France est de 75 patients. Il n’y a pas eu d’accès précoce et aucun patient n’est actuellement traité ; 
  • Zolgensma est disponible en ATU (d’abord nominatives, puis de cohorte depuis le 20 mai 2020) et devrait prochainement être évalué par la HAS. L’indemnité d’ATU est de 1 945 000 euros, ce qui en fait le médicament le plus cher au monde.

Ces thérapies bénéficient d’ASMR modérée ou importante, ce qui leur permet d’entrer dans le corridor du prix européen et de bénéficier d’une garantie de prix pendant cinq ans.

Malgré des coûts unitaires élevés, l’incidence macro-économique de ces thérapies est limitée par la rareté de la population. Il n’en ira plus de même avec l’arrivée de thérapies géniques dans le traitement de l’hémophilie qui concerne un peu plus de 6 000 personnes. Le passage d’un traitement chronique à vie à un traitement à visée curative représente un défi majeur pour l’assurance maladie.

Dans le traitement de l’hémophilie de type A, Hemlibra (laboratoire Roche), d’abord disponible depuis 2018 en ATU nominative puis de cohorte, est inscrit sur la liste en sus et sur la liste de rétrocession depuis février 2019 (JO du 6 février 2019).

Cette situation nouvelle exige du payeur une adaptation du système de paiement et des mécanismes de régulation du marché qui lui permette de se prémunir contre la forte incertitude qui existe quant à l’efficacité de ces traitements en vie réelle. Le mécanisme des remises conventionnelles n’est pas totalement satisfaisant, car il fait supporter par le payeur une partie du risque lié aux incertitudes quant au produit.

Des mécanismes de rémunération aux résultats ou à la performance permettent une répartition des risques plus équilibrée. Un taux de remise est alors préalablement défini en cas d’échec du traitement (rémunération aux résultats) ou de non-réalisation d’un objectif à un terme préalablement défini (rémunération à la performance). Dans les deux cas, le registre de patients, qui permet d’observer le traitement en vie réelle, joue un rôle décisif. Des mécanismes de ce type ont été mis en place dans le cas des CAR-T.

Il est également possible de mettre en place des dispositifs de paiement étalés sur plusieurs années. Cet échelonnement peut être couplé à un contrat de performance qui permet de payer chaque année une partie du prix total et de poursuivre les paiements selon les résultats annuels obtenus, ce qui permet de lisser la dépense. Ces dispositifs impliquent de réviser le traitement comptable de la dépense et de redéfinir sa place dans l’ONDAM. Ils auraient pour avantage de mettre le traitement à la disposition de l’ensemble de la population cible et pas seulement à destination des patients présentant les formes les plus sévères de la pathologie, comme cela avait dû être le cas, dans un premier temps, dans le cas des traitements de l’hépatite C.

Par ailleurs, « les mécanismes nationaux de fixation des prix dans le cadre de marchés nationaux ou a minima européens incitent à davantage de coopération entre les pays afin de réduire l’asymétrie d’information rendant plus difficile l’estimation d’un juste prix pour les pouvoirs publics ».

Les dispositifs médicaux connectés : comment définir un cadre réglementaire adapté ?

L’inscription des actes de téléconsultation dans le droit commun de la prise en charge réalisée en 2018 a été un pas important dans la voie de la télémédecine, jusqu’alors limitée à des dispositifs expérimentaux. Dans ses autres composantes (téléexpertise, télésurveillance, téléassistance et régulation médicale[1]), l’e-santé reste encore en marge des financements de droit commun. Il s’agit pourtant d’un secteur en pleine évolution, notamment dans le cas de la prise en charge des maladies chroniques.

La notion de dispositif médical connecté (DMC) renvoie à une catégorie de dispositifs aux contours mal définis et hétérogène. La définition est large et repose sur trois critères cumulatifs : un usage exclusivement médical du dispositif, une action au niveau individuel et un bénéfice spécifique adapté à l’état de santé propre de chaque patient, un logiciel capable non seulement de stocker les données, mais encore de les analyser et de les traiter. Ainsi défini, le DMC diffère radicalement du DM traditionnel. Il peut en effet être utilisé à des fins de télésurveillance, d’auto-surveillance du patient ou porter sur l’adaptation du traitement (ex. des pompes à insuline connectées)[2].

Le cadre réglementaire habituel est mal adapté à ces nouveaux outils qui posent donc au régulateur de nouveaux défis.

Si, à ce jour, aucun système de santé n’a fait entrer le DMC dans le droit commun, en Allemagne, considérée comme pionnière, de nombreuses expérimentations sont en cours, via une loi sur la santé numérique.

En France, Moovcare (Sivan), application de télésurveillance pour les patients atteints de cancer du poumon, est le seul DMC à avoir fait l’objet d’un accord de prix avec le CEPS pour une inscription à la LPP en juin 2020. Contrairement à d’autres DMC reliés à un DM, Moovcare est la première application autonome prise en charge en France. L’accord conclu porte notamment sur le volume des ventes et le taux d’observance, de sorte qu’il devrait probablement être un point de repère utile pour l’inscription d’autres DMC à la LPP.

Simultanément, cette inscription a mis en évidence les limites des instruments de régulation actuels qui, notamment, ne tiennent pas compte du coût de l’équipe médicale nécessaire au déploiement de l’application. Or, dans le système actuel, la prise en charge du coût spécifique de cette équipe médicale non seulement passe par une procédure distincte (inscription d’un acte à la nomenclature), mais encore cette inscription ne rend compte qu’imparfaitement de ce coût. L’objectif doit donc plutôt être de s’efforcer de définir un protocole de prise en charge qui permette de valoriser chaque étape du parcours conduisant à l’utilisation du DMC. Tel est, pour les téléconsultations, l’objectif du programme ETAPES[3], « piloté » par le ministère de la santé qui s’inscrit dans le cadre du programme expérimental prévu à l’article 51 de la LFSS pour 2018.

Mais le cadre de l’article 51 n’est pas, lui non plus, absolument satisfaisant, car de trop nombreux dossiers sont stoppés en amont, faute de présenter des garanties de sécurité d’utilisation jugées suffisantes.

En conclusion, l’Assurance maladie estime que : « A rebours du médicament, l’intérêt de l’intégration d’un DMC au droit commun porte moins sur le produit en lui-même que sur son rôle de coordinateur, d’objet-frontière entre différents professionnels de santé et le patient. Il marque le passage d’un paradigme de remboursement centré sur le DMC à un paradigme centré sur l’usage ».


[1] Article 78 de la loi n° 2009-879 du 21 juillet 2009 et décret n° 2010-1229 du 19 octobre 2010.

[2] Haute autorité de santé, 20 avril 2020, Proposition de classification fonctionnelle des solutions numériques selon leur finalité d’usage, document de travail.

[3] Expérimentation de Télémédecine pour l’amélioration du Parcours en Santé (LFSS pour 2014 et article 51 de la LFSS pour 2018).

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