Rendue publique mercredi 7 octobre, la 25ème édition du projet de loi annuel de financement de la sécurité sociale[1] n’échappe pas à la règle connue depuis près d’un quart de siècle maintenant et comporte son chapelet de mesures nouvelles concernant les deux instruments privilégiés de régulation économique du médicament : baisses de prix et remises.

La densité de l’information nous contraint de procéder en deux temps pour égrener ce chapelet de mesures nouvelles. Nous nous en tiendrons aujourd’hui à l’analyse de L’article 17 du projet de loi qui réécrit l’article L 138-13 du Code de la sécurité sociale pour arrêter des conditions nouvelles d’accès aux remises exonératoires de la clause de sauvegarde, elle-même prévue à l’article L 138-10. Malheureusement, une fois encore, ces mesures nouvelles se proposent de substituer aux mesures existantes un dispositif complexifié et opacifié.

La condition d’éligibilité posée au premier alinéa de l’article demeure : pour pouvoir prétendre à une remise exonératoire de la clause de sauvegarde, l’entreprise doit avoir conclu avec le CEPS une convention qui couvre au moins 90 % du chiffre d’affaires des produits pris en charge. Toutefois, cette clause d’éligibilité, si elle est maintenue, est vidée de sa portée. En effet, si aujourd’hui les laboratoires peuvent prétendre à une remise exonératoire dès lors qu’ils sont conventionnés pour 80 % de leur chiffre d’affaires réalisé au titre des produits pris en charge, le projet de loi se propose de fixer ce plancher à 95 %, de sorte que le seuil d’éligibilité à 90 % perd sa raison d’être. L’on ne comprend donc pas très bien le maintien de cette disposition.

Quoiqu’il en soit, la révision à la hausse du seuil d’accès aux remises exonératoires, porté de 80 à 95 %, constitue donc la première nouveauté du PLFSS 2021 en matière de remises.

Cette révision du seuil d’accès s’accompagne d’un dispositif – nouveau – de modulation de ce seuil d’exonération. Celui-ci peut en effet être abaissé jusqu’au seuil actuel de 80 % à la condition que le laboratoire ait accepté, par convention, des baisses de prix. Contrairement à la pratique actuelle, selon laquelle il n’est pas rare que, faute d’accord entre le laboratoire et le CEPS, la baisse de prix soit imposée unilatéralement par voie de décision du CEPS, le nouveau dispositif devrait favoriser la baisse de prix conventionnelle. Tel est d’ailleurs l’objectif recherché. La modulation du seuil d’exonération constitue donc la deuxième nouveautédu PLFSS 2021 en matière de remises.

A partir de là, le dispositif s’opacifie nettement. Pour chaque entreprise, le seuil d’exonération est fixé entre 80 et 95 % du chiffre d’affaires des produits pris en charge en fonction des baisses de prix acceptées conventionnellement et du chiffre d’affaires du laboratoire. Le taux d’exonération applicable à chaque entreprise est déterminé par le CEPS par application d’un barème fixé par voie d’arrêté ministériel en fonction des économies réalisées par l’assurance-maladie grâce à la baisse de prix et du chiffre d’affaires de l’entreprise. Autrement dit, en supposant inchangé le seuil de déclenchement de la clause de sauvegarde, le laboratoire à qui sera appliqué le seuil d’exonération plancher, soit un conventionnement de 80 % du chiffre d’affaires réalisé au titre des produits pris en charge, verra sa contribution augmentée par rapport à la situation actuelle dès lors que les baisses de prix acceptées conventionnement représenteront une perte annuelle de chiffre d’affaires supérieure à celle qui résulte des baisses de prix subies au cours de l’année 2020, qu’elles soient conventionnelles ou imposées. L’avenir dira ce qu’il en est, le barème annoncé n’étant pas disponible, mais on peut craindre que tel soit malheureusement le cas, sinon on ne comprendrait pas le bien-fondé de cette nouvelle « usine à gaz ».

Au-delà de sa complexité, ce nouveau dispositif ne manque pas d’interpeler. En premier lieu, les attributions du régulateur sont élargies, le CEPS se voyant investi des attributions d’une administration quasi-fiscale, chargée de déterminer discrétionnairement la liste des contribuables exonérés et celle de ceux qui ne le sont pas. Ce constat pose au moins deux questions de constitutionnalité : d’une part, celle de savoir si une exonération, composante indissociable de l’assiette de la contribution, peut être fixée par voie réglementaire. Ne faudrait-il pas « remonter » le barème au niveau de la loi, comme cela est d’ailleurs le cas pour la clause de sauvegarde elle-même ? D’autre part, se pose la question de savoir comment est garantie l’égalité devant l’impôt. Pourquoi ne pas avoir porté directement au crédit du laboratoire le montant des économies réalisées grâce à la baisse de prix ?

En second lieu, le dispositif pose une série de questions quant à son entrée en vigueur. Sur ce point, on ne peut que souhaiter que le débat parlementaire comble le silence actuel du projet. La LFSS entrera en vigueur fin décembre. Mais l’arrêté ministériel qui déterminera le barème évoqué ci-dessus ne peut pas légalement être adopté avant que la loi ne soit entrée en vigueur, de sorte que l’entrée en vigueur du dispositif est reportée à la date d’entrée en vigueur de l’arrêté, début 2021 au plus tôt, pour une application à la clause de sauvegarde 2021. Mais, à partir de cette date, comment garantir l’exigence constitutionnelle d’égalité devant l’impôt ? A chiffre d’affaires identiques, les économies réalisées par l’assurance-maladie l’année au cours de laquelle intervient la baisse de prix ne sont pas les mêmes selon que cette baisse a pris effet le 2 janvier ou le 30 avril. In fine, le taux d’exonération d’une entreprise donnée dépend donc de sa place dans l’agenda du CEPS. On ne gère pas une exonération fiscale comme le stock des médicaments sortis de la chaîne de fabrication et la méthode « first in, first out » n’est pas acceptable. Pour aider à garantir l’égalité devant l’impôt, il est nécessaire de compléter le dispositif prévu. La loi doit prévoir que, quelle que soit la date à laquelle la baisse de prix prend effet, les économies réalisées par l’assurance-maladie au titre de la première année d’application de la baisse de prix et le seuil d’exonération correspondant sont appréciés par référence aux économies réalisées en année pleine, quelle que soit la date à laquelle la mesure a pris effet. 

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