Entrée en vigueur le 27 mars 2020, l’ordonnance n° 2020-306 s’applique « aux délais et mesures qui ont expiré ou qui expirent entre le 12 mars 2020 et l’expiration du délai d’un mois à compter de la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire », c’est-à-dire, en l’ état, le 24 juin 2020 (ci-après « la période de référence »)[1]. Elle a été complétée et modifiée d’abord par l’ordonnance n° 2020-347 du 27 mars 2020 (Journal officiel du 28 mars), puis surtout par l’ordonnance n° 2020-427 du 15 avril 2020 « portant diverses dispositions en matière de délais pour faire face à l’épidémie de COVID-19 » (Journal officiel du 16 avril 2020).
Champ d’application
L’ordonnance du 25 mars 2020 s’organise en trois titres : des dispositions générales (titre I), des dispositions propres aux procédures administratives (titre II) et des dispositions diverses (titre III).
L’article 1er de l’ordonnance du 25 mars 2020 liste les domaines qui sont exclus du champ d’application du titre Ier. La liste de ces domaines est notoirement complétée par l’article 1er de l’ordonnance modificative du 15 avril 2020. On retiendra notamment de ces modifications que sont exclus des mesures générales prévues par l’ordonnance (voir ci-dessous) :
- Les délais concernant les déclarations relatives aux produits chimiques et aux installations fabriquant, stockant, traitant ou consommant de tels produits ;
- Les délais concernant les déclarations d’incident ou d’accident nucléaire et autres délais intéressant les installations nucléaires ;
- Les délais concernant les procédures d’appel à projet avec financement public.
Les mesures de portée générale
L’ordonnance pose d’abord en principe que tout recours, action en justice, formalité, notification prescrit à peine de nullité, sanction, irrecevabilité ou autre qui devait être accompli entre le 12 mars 2020 et le 24 juin 2020 est réputé avoir été effectué à temps s’il est effectué dans le délai imparti pour agir dans les conditions de droit commun décompté à partir du 24 juin, dans la limite de deux mois, soit jusqu’au 24 août.
Exemples :
A – Le délai pour saisir le tribunal judiciaire ou administratif est fixé par la loi ou le règlement à un mois ; dans le cas de la société X, ce délai vient à échéance le 20 mars ; si elle n’a pas été effectuée à cette date, la saisine du tribunal peut être effectuée jusqu’au 24 juillet (24 juin plus un mois) ;
B – Le délai est fixé à trois mois ; il se termine pour la société X le 20 mars ; la société peut agir jusqu’au 24 août (24 juin plus deux mois).
Cette règle s’applique à tout « paiement (…) en vue de l’acquisition ou de la conservation d’un droit » (exemple : les redevances ANSM), sans toutefois s’appliquer ni aux déclarations fiscales, ou sociales, ni aux actions en remboursement, ni aux délais de rétractation.
Certaines mesures administratives ou juridictionnelles dont le terme est venu à échéance entre le 12 mars 2020 et le 24 juin 2020« sont prorogées de plein droit jusqu’à l’expiration d’un délai de deux mois suivant la fin » de la période de référence, soit jusqu’au 24 août 2020. Il s’agit notamment :
- des mesures conservatoires, d’enquête, d’instruction, de conciliation ou de médiation, sous réserve des précisions apportées ci-dessus, ainsi que des pouvoirs du juge ou de l’intervention de l’autorité administrative ;
- sous les mêmes réserves, des mesures d’interdiction ou de suspension qui n’ont pas été prononcées à titre de sanction ;
- sous les mêmes réserves également, des autorisations, permis et agréments.
Exemple :
C – L’ANSM a prononcé une suspension d’AMM pour une durée de trois mois qui s’est achevée le 20 mars. La suspension est prorogée de plein droit jusqu’au 24 août 2020, sous réserve d’une décision contraire de l’ANSM qui, dans ce cas, doit tenir compte des contraintes liées à l’état d’urgence sanitaire.
Les astreintes, clauses résolutoires, clauses pénales, clauses prévoyant une déchéance « sont réputées n’avoir pas pris cours ou produit effet » lorsqu’elles sont destinées à sanctionner l’inexécution d’une obligation dans un délai déterminé si ce délai est venu à échéance entre le 12 mars et le 24 juin 2020. Les astreintes prennent cours et les clauses produisent leurs effets à compter d’un délai décompté à partir du 24 juin 2020 et égal à la durée qui s’est écoulée entre la date à laquelle l’obligation est née et la date à laquelle elle aurait dû être exécutée.
L’application des astrreintes et des clauses pénales qui ont pris effet avant le 12 mars 2020 est suspendue jusqu’au 24 juin 2020.
Lorsqu’une convention ne peut être résiliée ou renouvelée que durant un délai déterminé, ce délai est prorogé jusqu’au 24 août s’il expire entre le 12 mars et le 24 juin 2020.
Dispositions applicables en matière administrative
Les délais à l’expiration desquels une décision administrative ou un avis d’un organe administratif devait intervenir et qui n’étaient pas expirés le 12 mars 2020 sont suspendus jusqu’au 24 juin 2020.
Exemples :
D – Le délai imparti à l’administration pour statuer sur une demande dont elle était saisie venait à échéance le 20 mars 2020, en application de la règlementation applicable. Ce délai est suspendu jusqu’au 24 juin, date à laquelle il reprend cours.
E – Le délai imparti à la commission de recours amiable de l’URSSAF pour statuer sur une réclamation venait à échéance le 20 mars. Il est suspendu jusqu’au 24 juin.
Si le point de départ du délai de recours à l’encontre d’une décision administrative se situe entre le 12 mars et le 24 juin 2020, il est reporté à cette date.
Exemple :
F – La décision de la commission de recours amiable de l’URSSAF du 10 mars 2020 rejetant la réclamation de la société X a été notifiée par lettre recommandée le 16 mars. Le point de départ du délai de recours, qui aurait dû être fixé au 17 mars, est reporté au 24 juin.
Cette règle s’applique aux délais donnés à une administration pour statuer sur le caractère complet d’un dossier.
Exemple :
G – Le délai imparti à l’ANSM pour se prononcer sur le caractère complet d’un dossier d’AMM aurait dû échoir le 20 mars. Il est prorogé jusqu’au 24 juin. Pendant toute cette période, l’ANSM peut donc demander des pièces complémentaires et donc suspendre à nouveau la computation du délai.
Lorsqu’il n’est pas expiré au 12 mars 2020, le délai imparti par l’administration pour réaliser des contrôles, exécuter des travaux ou exiger une mise en conformité est prorogé jusqu’au 24 juin, sauf si la mesure a été ordonnée par une décision de justice. Le délai pour s’exécuter est reporté dans les mêmes conditions si son point de départ se situe entre le 12 mars et le 24 juin 2020. Là encore, ce report s’applique sous réserve d’une appréciation contraire de l’autorité administrative qui doit alors tenir compte des contraintes liées à l’état d’urgence sanitaire.
Exemples :
H – Le délai de six mois imparti par l’ANSM pour mettre en conformité une chaîne de fabrication s’achevait le 20 mars. Il est suspendu jusqu’au 24 juin, date à laquelle il reprend pour 8 jours (12 mars/20 mars).
I – La décision du directeur général de l’ANSM prescrivant la mise en conformité de la chaîne de fabrication dans un délai de six mois suivant sa notification a été notifiée le 20 mars 2020. Le point de départ du délai de six mois est reporté au 24 juin.
Les délais de prescription fiscale et douanière sont suspendus entre le 12 mars et le 24 juin 2020. Il en résulte que les délais de prescription fiscale qui devaient venir à échéance au 31 décembre 2020 ne viendront à échéance qu’en 2021, à une date encore indéterminée à ce jour. Le point de départ du délai imparti à ces administrations pour prendre une décision (exemple : remboursement du crédit de TVA) est reporté au 24 juin lorsqu’il se situe entre le 12 mars et le 24 juin 2020.
Les délais de recouvrement impartis aux comptables publics sont suspendus jusqu’au 24 août 2020 lorsqu’ils étaient en cours au 12 mars 2020 ou lorsqu’ils ont débuté postérieurement à cette date.
Pour diverses raisons d’intérêt général, dont les motifs de santé et de salubrité publiques, un décret peut déroger aux règles énoncées supra. Ce décret est le décret n° 2020-383 du 1er avril 2020, publié au Journal officiel le 2 avril et entré en vigueur le 3 avril. Ce décret prévoit que les délais suspendus en vertu de l’ordonnance du 25 mars 2020 recommencent à courir à la date du 3 avril 2020 dans un certain nombre de domaines qu’il énumère dont : diverses mesures prises en application du code de l’environnement, du code minier, du code de l’énergie, ainsi que diverses mesures prises par l’Autorité de sûreté nucléaire et en matière de gestion de l’eau. Sont également concernées, au titre du CSP, les mesures de rayonnement électromagnétique ordonnées sur le fondement de l’article L 1333-31 de ce code. De même, divers délais intéressant le ministère de la défense sont, eux aussi, exclus du champ d’application de l’ordonnance par l’effet du décret 2020-450 du 20 avril 2020, publié au Journal officiel du 21 avril 2020. Deux autres décrets sont encore intervenus pour exclure du champ du dispositif de la suspension des délais diverses décisions intervenues respectivement dans le secteur de l’environnement (décret n° 2020-453 du 21 avril 2020, Journal officiel du 22 avril 2020) et du droit du travail (décret n° 2020-471 du 24 avril 2020, Journal officiel du 25 avril 2020). Les délais visés par ce dernier décret, suspendus par l’ordonnance du 25 mars 2020, reprennent cours au 25 avril 2020.
Les dispositions énoncées ci-dessus s’appliquent :
- à l’ensemble des administrations de l’Etat : administration centrale (Ministères) et services déconcentrés (Préfecture et ARS), établissements publics administratifs (CNAMTS, ANSM, hôpitaux…), autorités administratives indépendantes (HAS) ;
- aux collectivités locales et à leurs établissements publics (communes, départements, régions, établissements médico-sociaux publics) ;
- aux personnes morales de droit privé investies d’une mission de service public (URSSAF, CPAM…).
Les dispositions analysées ci-dessus s’entendent sous réserve du respect du droit de l’Union européenne.
L’application aux collectivités d’outre-mer autres que les cinq départements d’outre-mer est particulièrement complexe. Elle fait l’objet de l’article 14 de l’ordonnance du 25 mars 2020, modifié par l’article 10 de l’ordonnance du 15 avril 2020.
Cette ordonnance a été commentée par une circulaire de la Chancellerie en date du 26 mars 2020, rectifiée le 30 mars 2020, remplacée, à la suite de l’intervention de l’ordonnance modificative du 15 avril 2020, par une circulaire non numérotée en date du 17 avril 2020
Rappel : L’ensemble des développements qui précèdent prend pour hypothèse que l’état d’urgence sanitaire cesse le 24 mai 2020. Cette date est susceptible d’être modifiée dans les conditions exposées en note de bas de page (page 1). Dans un tel cas, il y aurait lieu de tirer les conséquences de cette modification sur les règles de délai énoncées dans la note.
[1] L’article 4 de la loi 2020-290 du 23 mars 2020 proclame l’état d’urgence sanitaire pour une période de deux mois à compter de sa publication, survenue elle-même le 24 mars. L’état d’urgence sanitaire est donc proclamé pour une période s’écoulant du 24 mars à zéro heure au 23 mai à minuit et prend ainsi fin le 24 mai à zéro heure. Cette période de deux mois peut être abrégée par un décret en Conseil des ministres ou au contraire prorogée par une loi. L’ordonnance proroge le délai pour agir d’un mois. Celui-ci se termine donc, en l’état, le 23 juin à minuit. En vertu de la règle de computation des délais dite du délai franc, ce délai pour agir se termine cependant le 24 juin à minuit.