La Commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale a adopté, lors de sa séance du mercredi 23 juin, le rapport d’information sur le médicament établi par Mme Audrey Dufeu et M. Jean-Louis Touraine, co-rapporteurs.

Un constat alarmant

Après une soixantaine d’auditions – dont plusieurs industriels –, le rapport dresse un constat alarmant de la situation, avec un net recul de la place du médicament en France, alors pourtant que celui-ci était hier l’un des fleurons de notre industrie. A une industrie exportatrice succède une industrie de plus en plus fréquemment exposée à la rupture d’approvisionnement. Cette situation, connue, est tout à la fois le résultat d’une absence d’une réelle politique du médicament et d’une redéfinition du paysage industriel dans lequel les financiers occupent aujourd’hui les places occupées hier par les médecins. L’intérêt de la santé cèderait trop souvent le pas sur celui de l’actionnaire, comme l’illustrerait l’exemple des start-up rachetées par les grands laboratoires. Les pouvoirs publics doivent reprendre la main pour « soigner le médicament », estiment les rapporteurs.

Selon le rapport, le déclin français s’observe à tous les stades du processus économique, de la recherche fondamentale à la distribution. La France serait passée de la 1ère à la 4ème ou 6ème place en Europe, derrière des pays à PIB plus modeste, avec des crédits publics alloués à la recherche plus de deux fois inférieurs à ceux consentis à la recherche en Allemagne. Sur 61 AMM centralisées accordées depuis 2019, 5 sont « françaises ». En aval, 500 jours s’écoulent en moyenne entre l’octroi de l’AMM et la fixation du prix, contre 119 en Allemagne. Certes, l’ATU permet de tempérer ces délais excessifs, mais seuls les patients dont le domicile est proche d’un CHU peuvent en bénéficier. A ce stade, à quelques jours de son entrée en vigueur effective, on attendait une prise de position des députés sur l’importante réforme des procédures de prise en charge dérogatoire opérée par la LFSS pour 2021. A s’en tenir à la séance publique, cette prise de position fait défaut et on ne pourrait alors que le regretter

Grâce à la présence d’acteurs de grande qualité, les parlementaires estiment possible de redresser la situation. Seule manque, jusqu’à ce jour, la volonté politique. L’après-Covid offre une opportunité que les pouvoirs publics doivent saisir, en vue d’une refondation de la politique française du médicament. Il faut changer de paradigme, estiment les députésComme d’autres avant eux, ils estiment qu’il est nécessaire de s’ouvrir au médicament de demain, un médicament de thérapie génique onéreux mais prescrit une fois qui se substitue au médicament industriel à composition chimique prescrit à vie, mais peu onéreux. Dans cette situation, la poursuite de la politique actuelle des « mesurettes » met en péril la soutenabilité du système.

Même si les membres de la commission ont été unanimes en séance pour saluer l’important travail réalisé par leurs collègues, le citoyen reste à cet égard quelque peu sur sa faim. Le constat admis, on aurait apprécié des prises de position plus constructives. S’agit-il, par exemple, d’adhérer aux propositions de prise en charge étalée faites par l’UNCAM dans le rapport « charges et produits » de 2020 ? S’agit-il de faire des propositions alternatives ? Si oui, lesquelles ?

Il y a urgence à établir une cartographie des sites de production et à arrêter une stratégie européenne de relocalisation pour retrouver notre autonomie sanitaire, estiment encore les parlementairesGardons à l’esprit que 80 % des principes actifs des spécialités commercialisées en Europe sont originaires d’un pays tiers.

Sur ce point, plusieurs députés ont, dans leur question, rappelé combien cette « relocalisation » paraissait difficilement compatible avec les préoccupations environnementales de l’Union européenne, tout aussi justifiées. La politique européenne « une seule santé » tend à rappeler que la santé humaine n’est séparable ni de la santé vétérinaire, ni de la « santé environnementale ». Tel qu’interprété par la Conseil constitutionnel, l’article 5 de la Charte de l’environnement établit la même corrélation entre santé et environnement. La « relocalisation » de l’industrie pharmaceutique s’impose donc de toute évidence, mais le chemin pour y parvenir sera rude et empierré.

Comment faire ?

Les parlementaires proposent de rééquilibrer les relations avec les industriels avec la mise en place, en France comme au niveau européen, d’une politique partenariale incitative, à substituer au mille-feuilles bureaucratique actuel, dissuasif alors que l’absence de synergies affaiblit la capacité de négociation des pouvoirs publics. Les parlementaires proposent la nomination d’un Haut commissaire aux produits de santé, interlocuteur unique rattaché directement au Premier ministre. Une loi de programmation doit fixer le cap.

Là encore, ces propositions posent question. Plus précisément, elles posent la question des moyens. Ce que les industriels attendent de la politique publique, c’est d’abord de la visibilité. Un nouvel interlocuteur, tel un Haut commissaire, ne peut devenir un interlocuteur crédible que si, nommé en Conseil des ministres, il est en outre inamovible, apte ainsi à avoir une longévité professionnelle supérieure à celle des hauts fonctionnaires de l’administration centrale de l’avenue Duquesne et de la rue de Bercy. Quant à la loi de programmation, trop d’exemples illustrent sa fragilité. Une loi de programmation des industries de santé est éminemment souhaitable, à la condition d’être entourée de garanties constitutionnelles qui la rendent non déprogrammable. En bref, comme le commissaire qui l’accompagne, la loi de programmation doit être « indéboulonnable ». Nous avons trop soif de visibilité.

La régulation et sa gouvernance doivent être repensées, pour d’abord clarifier l’actuelle confusion entre liens d’intérêts et conflits d’intérêts, qui prive l’ANSM d’experts et conduit l’EMA à se plaindre de l’absence d’experts français dans les instances européennes, poursuivent les rapporteurs.

Sur ce point, on ne peut que souscrire au propos. On ajoutera que la confusion entre liens d’intérêts et conflits d’intérêts deviendrait rapidement une non-question si l’administration s’obligeait à respecter la chose jugée et la ligne de partage claire tracée par la jurisprudence du Conseil d’Etat, plutôt que, par commodité, de se replier systématiquement derrière le « lien d’intérêts » supposé pour récuser l’expert pressenti.

Les prix

Le prix du médicament est actuellement décorrélé des prix de revient. Les parlementaires proposent la création d’un pôle public. L’objectif doit être de parvenir un jour à un prix européen. La hausse du financement de la recherche doit permettre un meilleur pilotage du risque avec la mise en place de contrats d’achat européens, à l’instar de ce qui a été pratiqué pour les vaccins en 2020. Une telle politique passe par la transparence des informations économiques communiquées aux pouvoirs publics par les industriels. A la pratique opaque des remises, soit être substituée une politique de transparence du prix qui privilégie le prix facial. A la jungle des prix doit être substitué un label qui atteste de la transparence du prix. Au prix fixe doit être substitué un prix modulé, à la baisse comme à la hausse, en fonction des résultats des études en vie réelle qui seront utiles à tous, au service d’une meilleure administration de la politique du médicament. Les études en vie réelle doivent ainsi devenir la colonne vertébrale de la politique du prix.

Des propositions qui ne sont donc pas en totale rupture avec la pratique la plus récente et auxquelles les industriels adhèrent, pour autant que les études en vie réelle ne deviennent pas la nouvelle variable d’ajustement du prix, propre à entraîner à chaque occasion une modification de celui-ci. Visibilité avons-nous dit.

La recherche

Pour permettre à la France de retrouver sa place dans le domaine de la recherche, il est nécessaire certes d’augmenter les crédits publics, mais il est également nécessaire de relever les rémunérations des chercheurs pour les aligner a minima sur la moyenne européenne, d’instaurer une recherche collaborative entre l’Université et l’industrie dans des parcours d’excellence, à substituer au modèle actuel de la recherche en silo. La France, qui compte autant de CHU que les USA, ne peut pas, en l’état, être compétitive. Etablissons un cadre européen pour l’innovation. Réduisons les délais d’obtention de l’autorisation pour les essais cliniques. Dans ce cadre, la nouvelle agence européenne European Research Area (ERA) doit jouer un rôle de premier plan.

Quant à la recherche fondamentale, elle ne peut effectivement se concevoir aujourd’hui efficacement que dans un cadre européen qui reste à imaginer. L’Europe doit effectivement consacrer toute son énergie à la réussite de l’ERA.

Les pénuries

Les auditions ont mis en évidence une forte inquiétude à l’égard des pénuries de médicaments. Le nombre de spécialités concernées est passé de 404 en 2013 à 1499 en 2019. Un recensement des spécialités concernées et une définition commune de la politique d’approvisionnement au niveau européen sont nécessaires avec un partage des informations relatives aux ruptures d’approvisionnement, un renforcement des sanctions à l’encontre des pratiques abusives et une publicité de l’historique des ruptures d’approvisionnement et des sanctions.

Au-delà, il est nécessaire de repenser la politique de production pour s’orienter, à l’instar de l’industrie américaine, vers un modèle de production en réseau, en vue d’associer à la production l’ensemble des acteurs concernés, notamment pour la production de médicaments génériques. La part de marché du générique est de 40 % en France contre 80 % en Allemagne. La part des biosimilaires est de 23 % pour un objectif affiché de 80 % en 2022. Il est nécessaire de fixer un prix plancher pour les génériques et d’associer pleinement les prescripteurs à une politique de développement du générique.

La question que pose ce dernier point est simple : peut-on simultanément militer en faveur du « tout générique » et en faveur de l’innovation ?

En conclusion, les rapporteurs ont émis le vœu que la France se saisisse de l’opportunité que lui offre la présidence « tournante » du Conseil de l’Union européenne au premier semestre 2022 pour mettre en chantier certaines des propositions formulées.

Au vu des seuls travaux de la commission (et donc sans avoir pris connaissance du rapport en tant que tel, non encore disponible), l’auditeur dira que le rapport en question est un rapport sur la « faisabilité » duquel on peut donc s’interroger.

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