Le Projet de Loi de Financement de la Sécurité Sociale (PLFSS) est un texte technique soumis à un calendrier qui ne favorise pas la qualité des discussions, ni parlementaire, ni avec la société civile.
Son élaboration par l’État et la gestion comptable que ses outils instituent, reflètent la vision suradministrée que les pouvoirs publics ont de la santé. Au premier rang de ces outils, l’Objectif National de Dépenses de l’Assurance Maladie (ONDAM) emporte d’importantes conséquences, parmi lesquelles :
- des insuffisances de financement de la prévention, dont les effets sont difficilement annuellement quantifiables
- un manque de vision prospective des acteurs de la santé, freinant la croissance et l’attractivité de la France notamment dans le champ de l’innovation en santé.
La régulation stricte des dépenses de santé dont l’ONDAM est l’outil principal est cependant mise à mal par la crise sanitaire et ses conséquences budgétaires fortes. Dans son premier avis rendu le 15 avril, le comité d’alerte sur les dépenses d’assurance maladie prévoyait un dépassement significatif de l’ONDAM avec une ampleur supérieure au seuil de 0,5% compte tenu des dépenses exceptionnelles liées à la crise. Dans son avis du 30 mai 2021, le comité d’alerte prévoit près de 10Mds de l’ONDAM en 2021. Dans sa forme actuelle, l’ONDAM ne serait pas l’outil pertinent pour permettre un rééquilibrage des dépenses de santé ; ce constat est à mettre en parallèle de celui, largement partagé, de l’insuffisance d’une régulation seulement annuelle des dépenses de santé.
La visibilité sur le temps long en matière de dépenses de santé, déjà délicate avant la crise, est désormais devenue impossible pour les acteurs de terrain. Afin de voir loin et de voir clair, le Club PLFSS émet ses recommandations pour réformer l’ONDAM.
Le besoin d’une réforme calendaire et démocratique
Le calendrier de la réforme est à l’origine d’une discussion descendante, de l’État vers les autres parties prenantes
La procédure parlementaire des LFSS est encadrée par la constitution. Son article 39 dispose que le PLFSS est soumis en premier lieu à l’Assemblée Nationale au plus tard le 15 octobre de l’année n. Les députés ont alors 20 jours pour étudier le texte, avant qu’il ne soit soumis par le gouvernement au Sénat qui disposera de 15 jours pour le discuter. Les délais compressés associés à une complexité accrue du texte ne permettent pas aux acteurs de se saisir pleinement du débat sur le financement de la sécurité sociale. La préparation de ce projet de loi n’associe pas les parties prenantes, et la MECSS n’a qu’un pouvoir de contrôle a posteriori des lois de financement de la sécurité sociale. Enfin les recours à l’article 49-3 de la constitution par le gouvernement et la prise d’ordonnances restent possibles en cas de non-respect des délais constitutionnels impartis. En 2018, des députés indiquaient n’avoir eu que deux jours pour étudier les amendements du PLFSS en première lecture, et seulement une nuit en deuxième lecture.
La complexité du PLFSS entrave la participation citoyenne et le débat parlementaire
Chargé de la rédaction du PLFSS depuis les réformes Juppé, l’État et en particulier la Direction de la Sécurité Sociale est « rodée » à un exercice particulièrement complexe ; de leur côté, les acteurs politiques et de la société civile sont soumis à un turnoverimportant et à des moyens en rien comparables pour s’assurer ne serait-ce que de la bonne compréhension des documents budgétaires. Cette complexité des lois de financement avait fait l’objet en 2006 d’un avis du Conseil constitutionnel, rappelant l’article 14 de la DDHC : « tous les citoyens ont le droit de constater la nécessité de la contribution publique ». En 1991, le Conseil d’État jugeait déjà la loi trop bavarde (parlant même de « logorrhée législative ») et contre-productive. Dans son rapport public de 2006, le Conseil d’État écrivait que cette surproduction législative était à l’origine d’une insécurité juridique qui « inquiète les citoyens, en particulier les plus faibles, et décourage les opérateurs économiques ».
Le besoin d’une réforme structurelle et budgétaire
L’explosion de la perte d’autonomie, ou la nécessité de repenser le cadre financier de la sécurité sociale
La perte d’autonomie est un enjeu de santé publique et concerne les malades poly-pathologiques, les cancers, les maladies cardio-vasculaires, les maladies mentales ou neurodégénératives.
Entre 2015 et 2017, l’Insee indique que pour une personne avec un faible degré de perte d’autonomie (GIR 1), la consommation d’aide a augmenté de 108€ en moyenne. En 2050, la France comptera 4 millions de personnes en perte d’autonomie, contre 2,4 millions aujourd’hui.
La création 5e branche de la sécurité sociale a pour objectif de répondre à ces enjeux essentiels ; les principales questions de son financement restent cependant en suspens. Le financement de la sécurité sociale doit s’adapter à l’augmentation programmée des dépenses liées à la perte d’autonomie ; l’ONDAM, bien que cantonné aux dépenses d’assurance maladie, devra se réinventer pour permettre un décloisonnement entre sanitaire, social et médico-social.
Le manque d’une vision prospective sur les politiques de santé
Comme l’a montré l’étude Dormont & Huber (2012), le profil des dépenses de santé est expliqué par la morbidité, et non l’âge en soi ; « ce qui compte en matière de soins, ce sont les besoins et donc les maladies qui affectent l’individu plutôt que son âge ». En matière de dépenses de santé, il s’agit ainsi d’avoir une vision décloisonnée et à long terme des différents enjeux (vieillesse, maladies chroniques, prévention, handicap, …).
L’Assurance Maladie produit chaque année une cartographie médicalisée rétrospective qui sert à la construction du budget annuel de la sécurité sociale. Or les indicateurs de santé publique doivent pousser à utiliser les données de santé à des fins prospectives qui permettent d’identifier des besoins tendanciels de santé sur les 3 à 5 ans. Ceci est d’autant plus important que les dépenses de santé sont vouées à augmenter : vieillissement, évolutions environnementales, progrès technique pourraient amener les dépenses de santé à représenter 21% du PIB en France d’ici à 2050[1].
Les propositions du Club PLFSS pour réformer l’ONDAM
Avancer vers la prospective
L’ONDAM et la LFSS doivent intégrer une analyse prospective des besoins des malades, guidée par les objectifs de la Stratégie nationale de santé ; la HAS recommande pour ce faire un horizon temporel de 3 à 5 ans[2]. La CNAM publie chaque année dans son rapport charges et produits, une cartographie médicalisée des dépenses de santé qui permet de suivre l’évolution des déterminants de dépense de santé pour en suivre la progression, et de proposer des mesures correctives. Pour mieux anticiper et adopter les meilleures mesures de prévention et de régulation, une étude prospective et de l’effet des déterminants sanitaires sur les dépenses de santé (logement, habitudes alimentaires, mobilité, éducation, environnement…) doivent être effectuées par des travaux avec l’ensemble des acteurs, dans une logique de décloisonnement des métiers et des sous-ONDAM.
Retravailler la gouvernance
La DSS est à la fois le régulateur de la dépense et le représentant des besoins exprimés par les acteurs du système de santé. Cela n’amène pas à l’établissement d’un dialogue équitable entre la DSS et les autres parties prenantes. La gouvernance doit dissocier quatre missions essentielles : l’analyse du besoin, la construction de l’ONDAM, sa mise en œuvre, son suivi, son évaluation. Ainsi :
- l’analyse du besoin peut être assumé par l’Assurance maladie, et le Health Data Hub pourra fournir des données supplémentaires pour la réalisation de la cartographie médicalisée des dépenses de santé
- la construction et la mise en œuvre de l’ONDAM doivent faire l’objet d’une discussion sur le long terme avec l’ensemble des parties prenantes.
Engager la pluriannualité
La vision à 3-5 ans réalisée sert de boussole à la planification des économies. Les politiques de santé publique sont sources d’économie sur le moyen, voire long terme (prévention des cancers, des maladies cardiovasculaires ou respiratoires, du diabète…). Les sources d’économies liées à des changements de pratiques de soins ne peuvent plus être envisagées que par des baisses de prix et des mesures conjoncturelles. Ce constat est partagé par la MECSS[3] qui estimait dans son rapport d’information en 2019, que les projections pluriannuelles actuelles de l’ONDAM étaient trop peu documentées pour permettre aux acteurs de se projeter ; constat partagé plus récemment par le HCAAM[4]. La pluri-annualisation de l’ONDAM permettrait :
- d’intégrer les évolutions de dépenses de santé liées à la prévention et ainsi de sanctuariser cette dernière
- de faciliter le suivi et les adaptations de la stratégie nationale de santé et d’accompagner plus structurellement les changements de pratiques professionnelles, notamment en termes de restructurations hospitalières et de collaboration entre acteurs de la ville
- de renforcer la lisibilité du texte et la visibilité des acteurs, d’intégrer les innovations de ruptures et d’évaluer leurs impacts sur les différentes enveloppes
Ce point est en adéquation avec les travaux en cours notamment la proposition du projet de loi organique tendant à renforcer le pilotage financier de la sécurité sociale et à garantir la soutenabilité des comptes sociaux, déposée par les sénateurs Catherine Deroche, Jean-Marie Vanlerenberghe. Le Club PLFSS fera parvenir prochainement sa contribution écrite sur ladite proposition.
[1] http://www.cepremap.fr/depot/opus/OPUS15.pdf
[2] HAS, Choix méthodologiques pour l’analyse de l’impact budgétaire, Guide méthodologique, 2016
[3] http://www.senat.fr/rap/r19-040/r19-040_mono.html#toc116
[4] https://www.strategie.gouv.fr/sites/strategie.gouv.fr/files/atoms/files/avis_regulation_hcaam_avril_2021.pdf